Le numérique peut-il être au service de l'environnement ?

Le numérique peut-il être au service de l’environnement ?

Article co-écrit avec Emmanuel Bavière, publié sur Linkedin le 11 mars 2021.

La crise du Covid-19 a plus que jamais accéléré notre dépendance aux technologies aussi bien à l’échelle individuelle qu’à celle des organisations : Travail à distance, cours en ligne, consultations médicales en visio-conférence, achats sur internet… Selon les prévisions d’IDC65% du PIB mondial sera digitalisé d’ici 2022, ce qui représente un taux de croissance de 15,5% par an des investissements directs dans la transformation numérique.

Si l’accélération numérique n’épargne aucun secteur d’activités, elle soulève aujourd’hui des inquiétudes quant à son emprunte environnementale. Selon une étude du collectif GreenIT.fr sur l’emprunte environnementale du numérique mondial, le numérique est responsable d’environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’humanité et, si nous ne changeons rien, ce chiffre pourrait continuer d’augmenter de manière exponentielle dans les prochaines années. Les entreprises qui produisent et utilisent de plus en plus de services numériques ont donc la possibilité (et l’obligation) d’agir pour réduire leur emprunte environnementale et parmi les solutions proposées, émerge la notion de sobriété numérique.

La sobriété numérique, de quoi s’agit-il ? 

Frédéric Bordage (spécialiste français du numérique responsable et fondateur du collectif GreenIT.fr) propose pour la première fois cette notion en 2008. Il la définit comme une « démarche qui consiste à concevoir des services numériques plus sobres et à modérer ses usages numériques quotidiens. »

Pratiquer la sobriété numérique quand on travaille dans les nouvelles technologies, est-ce comme pratiquer la chasse tout en étant végan ?

Tout le monde voit de quoi on parle quand on évoque le numérique. Pour le terme sobriété, c’est plus compliqué et Wikipédia ne nous aide pas beaucoup :

  • Sobriété, état d’une personne sans niveau mesurable ou effet de substances psychotropes (alcool, drogues, etc.)
  • Sobriété économique, diminution de la consommation d’énergie et de ressources
  • Sobriété énergétique, un axe des économies d’énergie
  • Sobriété numérique, principe proposé en France par le rapport de l’association française The Shift Project visant à limiter les usages numériques
  • Sobriété heureuse ou simplicité volontaire, mode de vie volontairement simple

Intéressons-nous dans ce cas à la phrase dite au policier qui vous arrête au péage : « Je suis sobre ! » qui clairement signifie plusieurs choses :

  1. Je n’ai pas bu d’alcool ou du moins, bien moins que d’habitude
  2. Je suis en état de conduire et donc je vais bien ou du moins, mieux que d’habitude

Ainsi les termes moins et mieux peuvent vous permettre d’éviter le retrait de points de permis…

Mais revenons à nos moutons ! Mieux, dans le numérique, signifie être responsable, on parlera donc de numérique responsable. Moins, dans le numérique, signifie être frugal, on parlera donc de numérique frugal ou d’innovation frugale pour faire référence au livre L’innovation Jugaad dont l’un des auteurs est Navi Radjou.

On peut donc se permettre cette équation :

Sobriété numérique = numérique responsable + innovation frugale

A un bémol prêt, Navi Radjou nous explique que l’innovation frugale ou « Jugaad innovation » part du principe que tout problème peut se résoudre avec les moyens disponibles au niveau local. «L’innovation frugale, c’est l’art de faire mieux avec moins». On parle bien ici de fournir des solutions de qualité à bas coût et donc d’innover mieux mais avec moins de qualité ~ une sorte d’approche low tech qui fait du sens quand la matière première manque. On peut évoquer par exemple les climatiseurs créés à partir de bouteilles de verre. Retenons tout de même le terme de « sens » à ce stade.

Bien sûr faire local avec moins de matière importée, cela se rapproche de l’économie circulaire, avec tous les bénéfices que l’on connait. Mais dans le numérique « nécessairement mondialisé » cela semble compliqué. Pour rappel, la production d’un smartphone nécessite plusieurs centaines de pièces plastiques et métalliques de différentes natures qui émanent de ressources non renouvelables.

Alors en attendant qu’on réutilise les deux boites de conserve reliées avec un fil pour communiquer, restons dans un monde numérique réaliste, à savoir un monde ou faire moins d’usage numérique ce n’est pas faire moins bien des produits numériques. D’ailleurs, on les fait de mieux en mieux : moins énergivores, plus solides, plus réparables. Il faut cependant limiter au maximum le renouvellement des terminaux, éviter la multiplication des copies numériques.

Un comportement numérique sobre (à l’échelle individuelle ou de l’organisation) consiste donc essentiellement à acheter les équipements les moins puissants possibles, à les changer le moins souvent possible, tout en réduisant les usages énergivores superflus (pièces jointes volumineuses, vidéo…) mais utiliser MOINS ses outils.

Plus concrètement, que peut-on faire et comment se traduit la sobriété numérique au sein d’une organisation ?

Un addictologue nous dirait : “ Réduire l’empreinte énergétique et environnementale du Numérique passe par un retour à une capacité individuelle et collective à interroger l’utilité sociale et économique de nos comportements d’achat et de consommation d’objets et de services numériques, et à les adapter en conséquence afin d’éviter l’intempérance.” La démarche de sobriété numérique consiste donc à passer d’un numérique devenu instinctif à un numérique conscient et réfléchi. La question de « l’utilité » d’un apport est bien entendu une question subjective mais qu’il est nécessaire de poser collectivement si l’on veut assurer la résilience du système numérique. 

En clair, tu as soif d’alcool, pose-toi la question si tu as soif d’alcool… Bon !

Se contraindre à moins utiliser les outils numériques, que l’on soit une personne ou une organisation, répond à une prise de décision. Cette prise de décision est le plus souvent provoquée soit par la peur, soit l’envie. La peur ne mène pas bien loin, néanmoins, le Shift Project a listé des bonnes pratiques sur les usages. L’envie est la solution, rappelez-vous le terme de « sens » évoqué plus haut.

Donc, la vraie question est comment avoir envie de moins utiliser les outils numériques ? 

Alors qu’Apple propose depuis peu de consulter le temps passé sur son iPhone, la réponse facile est : En faisant autre chose ! Utiliser mon droit à la déconnexion pour lire, marcher, jouer avec mon chien (et le premier qui me parle de la pub de Microsoft de Noël dernier…Comment ça tu ne l’as pas déjà vue ? )

Passer à l’action : Agir – Monitorer – Sensibiliser & Coopérer

1) Agir avec le Green Coding

On utilise « beaucoup » son ordinateur (en dehors de l’usage dit ludique comme la lecture de livre, les jeux ou les vidéos) pour trier ses emails, produire des documents, chercher des infos, analyser des données, collaborer… Et bien améliorer le code des applications (green coding) pour analyser plus rapidement des données, utiliser l’IA pour filtrer ses emails, trier des infos ou collaborer de façon Adhoc, c’est utiliser moins les outils numériques…et vous laisser du temps pour développer ses propres applications plus responsables ( ?) ou jouer à nouveau avec son chien…qui entre temps a perdu sa balle…mais on s’égare. Si la prise de conscience individuelle est indispensable, c’est de la responsabilité de l’entreprise d’instaurer et de guider les bonnes pratiques telles que : Maintenir et mettre à jour le code des applications, mesurer la performance des systèmes (éliminer les versions trop anciennes), protéger et sécuriser avec les bons outils. 

2) Monitorer avec la calculatrice de durabilité

La calculatrice de durabilité de Microsoft fournit des insights sur les émissions de gaz à effet de serre des infrastructures informatiques permettant ainsi aux DSI de piloter la durabilité au sein de leur organisation et de quantifier l’impact carbone de leur utilisation du cloud sur une période et une région donnée. Ils peuvent également accéder à une estimation des réductions d’émissions de gaz à effet de serre liées à l’exécution de ces charges de travail dans Azure par rapport aux centres de données locaux. Ces données sont essentielles pour le reporting sur les émissions de gaz à effet de serre et boosteront de nouveaux efforts de dépollution.

3) Sensibiliser les collaborateurs

Le sujet de la sobriété numérique ne doit pas se limiter à la transformation d’une équipe IT. Afin de promouvoir des bonnes pratiques de manière durable et d’instaurer des changements significatifs, il est nécessaire que les dirigeants d’organisation instaurent une gouvernance autour de la RSE. Quelques pistes de réflexion :

  • Rattacher les objectifs de numérique responsable à des objectifs plus globaux et plus ambitieux de RSE de manière à que la transformation numérique ne soit plus seulement l’affaire des directions informatiques
  • Nommer des ambassadeurs parmi des collaborateurs volontaires au sein de directions variées
  • Proposer un programme de formation adapté
  • Permettre aux collaborateurs de contribuer à des projets porteurs tel que le programme de Mécénat de compétences Share AI qui met l’intelligence artificielle au service des entrepreneurs sociaux.

4) Coopérer avec son écosystème

Au travers de l’initiative Planetary Computer, Microsoft propose de mettre la donnée et les technologies au service de l’environnement et de la biodiversité. Le programme vise à agréger, visualiser et analyser des données environnementales à l’échelle planétaire. Ces données seront mises à la disposition de toutes les organisations dont les actions sont en faveur de l’environnement.

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Avons-nous progressé sur la compréhension de la sobriété numérique ?

Finalement, pratiquer la sobriété numérique semble se faire grâce au numérique, en mode “Inception” : en même temps si tous les chasseurs éliminent tous les animaux, alors tout le monde deviendra végan, non ? C’est certainement un peu exagéré !

Dans la continuité de cette pensée, deux forces s’affrontent, celles de Jevons et Prométhée : le premier, via son paradoxe, nous dit qu’à mesure que les améliorations technologiques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, la consommation totale de cette ressource peut augmenter au lieu de diminuer. En particulier, ce paradoxe implique que l’introduction de technologies plus efficaces en matière d’énergie peut, dans l’agrégat, augmenter la consommation totale de l’énergie. On parle également d’effet rebond. Le second, dans la mythologie grecque, est un Titan. Figure héritée du « transmetteur du feu », Prométhée est surtout connu pour avoir dérobé le feu sacré de l’Olympe pour en faire don aux humains. En clair, il sauve les hommes grâce au progrès. Donc une force nous dit : c’est open bar mais plus tu boiras et plus… tu boiras et l’autre nous dit vas-y lâche toi, de toute façon l’alcool ça désinfecte ; il ne pourra rien t’arriver.

En clair difficile de choisir son camp et on se tournerait facilement vers une quelconque croyance comme celle d’identifier les apports sociétaux du numérique à préserver et développer, afin de pouvoir leur allouer en priorité les ressources disponibles. Le changement de paradigme correspondant à l’adoption de la sobriété numérique concerne l’ensemble des acteurs interagissant avec, par et pour le numérique : il est donc de nature systémique.

On touche à un but… beaucoup d’écologistes nous disent : L’homme doit arrêter de se prendre pour Dieu car dès qu’il touche un élément (pensant bien faire ou pas) de l’écosystème naturel, et bien, il le perturbe : replanter les mauvais arbres, faire un barrage au mauvais endroit, remettre une espèce animale dans un autre habitat que son habitat naturel d’origine… Il y a plein de lectures à ce sujet. Mais le numérique pourrait nous aider dans cette approche grâce à la création d’un jumeau numérique de la nature permettant de simuler les impacts de l’intervention de l’homme dans tel ou tel domaine (faune, flore, matière…) à telle ou telle échéance. Cette approche systémique de jumeau numérique permettrait non seulement de changer la réalité mais surtout la perception que les hommes ont des autres êtres vivants comme par exemple, la peur du requin qui est avant tout un maillon essentiel dans la sauvegarde des océans. On vous parlait d’ailleurs un peu plus haut du Planetary Computer ! A suivre.

En conclusion, en lisant entre les lignes, on comprend qu’adopter la sobriété numérique comme principe d’action, c’est accepter les termes de MIEUX et de MOINS, le tout permettant de donner du SENS – alors courrez acheter des bonbons car le bon moyen mnémotechnique de tout ça, c’est « MM’S » et surtout, faites le savoir !


Article co-écrit avec Emmanuel Bavière.

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